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La pollution digitale: vers une écologie du numérique ?

Pollution numérique

Depuis que les mails ont remplacé les courriers, que nous regardons des vidéos au coin de la rue, que nous achetons en un clic, que nous utilisons des objets connectés pour nous simplifier la vie, nous vivons connectés en permanence, parfois même sans en prendre conscience. Le numérique souvent est considéré, à tort, comme un processus immatériel, qui n’aurait aucune conséquence directe sur notre écosystème. Cette illusion de dématérialisation nous fait parfois oublier que nos usages et habitudes numériques ont un impact sur l’environnement, même si on ne mesure pas toujours à quel point. La pollution engendrée par nos comportements virtuels est, elle, bien réelle.

Des comportements aussi anodins qu’une simple recherche Google, que l’envoi d’un mail ou que l’utilisation d’un objet connecté émettent en effet du CO2. La facture énergétique de nos comportements numériques, notamment générés par internet, ne cesse de grimper, faisant peser une pression croissante sur les ressources naturelles limitées et, plus largement, sur notre écosystème.

Selon les chiffres de Green IT, la pollution produite par nos comportements numériques est actuellement supérieure à celle produite par l’aviation civile, représentant à peu près 4% des émissions de gaz à effet de serre dont 1% uniquement pour la consommation de vidéos en ligne (avec, en tête, la pornographie). Si nous ne modifions pas nos modes de consommation, ce chiffre pourrait atteindre 8% en 2025, et 15% en 2030!

Pourquoi et comment le numérique pollue-t-il?

  1. La fabrication des équipement

L’empreinte carbone de la fabrication des équipements (ordinateurs, téléphones, tablettes, objets connectés, etc.) représente plus de 50% des émissions totales du numérique. C’est donc la première source de pollution numérique, loin devant les autres. En effet, tout le matériel informatique que nous utilisons (au sens large) provient précisément de ressources naturelles limitées (principalement des métaux rares tels que le silicium, le cobalt, le bore, le lithium, le graphite ou encore le tungstène).

L’extraction et le raffinage de ces ressources (appelées terres rares) sont également extrêmement énergivores. Ce processus fait subir une pression croissante sur les énergies fossiles, émet de grandes quantités de gaz carbonique et nécessite énormément d’eau. De plus, la demande étant grandissante, et la concentration du minerais diminuant au fur et à mesure de son exploitation, les processus d’extraction sont de plus en plus énergivores.

Selon Adrien Jahier, docteur en sciences de l’information et de la communication et consultant et formateur en transition et communication écologiques, la démonstration est faite: “plus nous achetons des appareils informatiques, plus nous extrayons des ressources naturelles limitées et consommons de l’énergie, plus nous participons à l’accélération du changement climatique.”

  1. La consommation de données

Parallèlement à l’intensification de la consommation de “devices”, nous consommons également de plus en plus de données: généralisation de l’envoi d’e-mails et de l’utilisation des réseaux sociaux,  essor des contenus vidéos à travers les plateformes telles que Netflix ou YouTube et l’augmentation de leur qualité, le streaming de jeux vidéo, le développement des forfait mobiles illimités. On estime que la pollution générée par la consommation des data représente environ 25% du total de la pollution numérique.

Si ces données semblent immatérielles, chaque octet de celles-ci engendre une consommation d’énergie électrique bien réelle qui se répartit en trois grands postes: celle utilisée pour le matériel lui-même (ordinateur portable, GSM, tablette, etc.), celle utilisée pour faire fonctionner les infrastructures de stockage de données (les data-centers, centres de stockage et de traitement des données informatiques qui permettent de faire fonctionner internet) et celle utilisée pour le transfert des données (réseau fibre, ADSL, mobile etc.).

A titre d’exemple, le projet Carbon Literacy indique qu’un e-mail normal consomme 4 g de CO2. Ce chiffre atteint à 50 g de CO2 s’il est accompagné de pièces jointes. Ces chiffres doivent être multipliés par le nombre d’e-mails envoyés par an, soit environ 300 milliards! Autre exemple: la consommation vidéo sur Internet équivaut à 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit la quantité émise par un pays comme l’Espagne.

Notre utilisation quotidienne d’Internet, qu’elle soit professionnelle ou privée est donc elle aussi énergivore et donc génératrice de gaz à effet de serre. Plus nous créons de données, plus nous partageons ces données, plus nous consommons d’énergie et plus nous participons à l’accélération du changement climatique.

  1. La fin de vie du matériel

Enfin, la fin de vie des équipements est une étape cruciale. Laurent Lefevre, chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et co-directeur d’Ecoinfo, . Selon lui,  “lorsque notre informatique devient un déchet d’équipement électrique et électronique (DEEE), on va essayer de faire du recyclage, de la réparation, de la réutilisation quand tout se passe bien sinon le matériel est détruit, enfoui. Certains métaux peuvent être réinjectés dans le numérique, grâce au recyclage mais c’est rare”. On parle en effet d’environ seulement un tiers des déchets recyclés en Europe, et encore moins dans le reste du monde.

Nos appareils informatiques participent, en fin de vie, à la formation de déchets électroniques pour la plupart non recyclés
qui accélèrent également le changement climatique.

Quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour rendre nos comportements numériques plus responsables et moins énergivores?

Modifier nos comportements individuels

Voici quelques pistes qui, au niveau individuel, peuvent améliorer notre bilan carbone:

Vers une prise de conscience des entreprises

La prise de conscience de l’existence et de l’importance de ce type de pollution est sans aucun doute la première étape qui pourrait générer, à terme, des modifications de comportement. Malheureusement, cette prise de conscience est pour le moment très faible voire inexistante dans le monde de l’entreprise. Selon Olivier Vergeynst, directeur de l’Institut Belge du Numérique Responsable, expliquait récemment qu’ “au niveau des entreprises, l’empreinte du numérique n’est pas perçue comme étant une priorité, en particulier parce que les entreprises doivent faire du reporting sur leur empreinte carbone qui ne contient pas, aujourd’hui, les aspects liés à l’informatique.”

Or, il devient essentiel pour les entreprises de se saisir de la question de la pollution digitale, avant que cette question ne les rattrape, d’être en mesure d’évaluer l’impact environnemental de leurs projets de numérisation afin de prendre des engagements forts pour lutter contre sa pollution digitale. L’idée d’une base de données publiques, reprenant les pratiques des entreprises pourrait aller dans ce sens.

Et les pouvoirs publics, dans tout cela?

Tous les comportements individuels visant à réduire notre impact écologique ne sont que des gouttes d’eau, dans un vase qui peut rapidement se remplir, si l’on s’y met tous. Mais surtout, ils nécessitent d’être appuyés et encouragés par des pouvoirs publics décidés à faire du défi climatique une véritable priorité stratégique.

Des réglementations et régulations doivent être prises, notamment pour intervenir sur l’obsolescence programmée (en forçant les constructeurs à étendre leur garantie légale, par exemple), la réparabilité des équipements, l’obligation du recyclage (avec par exemple, une taxe Recupel), la régulation sur les abonnements de data illimitées (qui n’aide pas le consommateur à prendre conscience de l’impact de sa consommation dans le défi climatique), la recherche et le développement qui se penchent sur des technologies moins énergivores, le soutien aux ONG qui visent à limiter la pollution des géants d’Internet, etc. Ce ne sont pas les solutions qui manquent, mais elles exigent une volonté politique pour être mises en place.

Les pouvoirs publics doivent eux aussi prendre leurs responsabilités et mener une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire une pollution omniprésente, exponentielle et quasi invisible. 

Vers une gestion durable du numérique ?

Au niveau individuel, politique et de l’entreprise, une meilleure connaissance et une meilleure information sont indispensables afin  que chacun prenne véritablement conscience de l’impact environnemental de nos usages numériques.

L’action nait de la sensibilisation, et activer le levier pédagogique en passant par l’éducation semble indispensable, car on sait qu’une bonne information peut générer une plus forte envie de s’engager et certainement un engagement de meilleur qualité. On peut penser notamment à des séances d’information dans les écoles, qui permettraient à la nouvelle génération, déjà très sensibilisée aux enjeux climatiques et environnementaux, de prendre conscience de l’impact leurs usages numériques. Ou encore, à la généralisation d’applications permettant à tout utilisateur de calculer l’empreinte carbone individuelle de ses terminaux et de ses usages numériques.

Bien sûr, tout cela ne peut se faire sans un engagement citoyen, une mobilisation des pouvoirs publics et une réelle volonté du monde de l’entreprise. La sobriété numérique doit être un enjeu pour tous.

Pour en savoir plus, pour en faire plus…

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